C’est pourtant le cas des problèmes éthiques, tels qu’ils surgissent d’ailleurs à l’occasion de possibilités techniques perçues comme révolutionnaires. Les biotechnologies, dans les développements qu’elles ont connus au cours des quinze dernières années, ont amené sur le devant de la scène des questions concernant les droits de l’embryon, qui sont à redéfinir à partir du moment où l’on a la capacité de lui faire subir des transformations irréversibles engageant son avenir de personne, les droits des parents, les droits des donneurs d’organes, les droits des générations futures… etc. C’est bien à propos d’un pouvoir faire nouveau, remettant en cause un droit et une éthique établis, que le problème se pose. En d’autres termes, la résolution d’un problème technique (comment effectuer une fécondation in vitro ? ou comment modifier un gène létal ou invalidant dans le génome d’un individu ? ou comment prélever et comment greffer un foie ou un cœur ?) débouche sur un problème qui n’est pas seulement juridique (perturbation du cadre de référence du fait de l’inadéquation des définitions antérieures de la mort, de la filiation etc.) mais moral dans la mesure où il place le médecin, les parties prenantes (et la société ) devant des responsabilités auxquelles aucun agent raisonnable n’avait été confronté.
Ici encore, ce n’est pas seulement le registre ou la portée du problème qui est en cause, dans la distinction qu’on est obligé d’établir entre « problème technique » et « problème éthique » : on n’a pas tout dit quand on a constaté que le premier concerne la pratique médicale et les connaissances scientifiques (génétique, physiologie, etc.) qui lui servent de support, tandis que le second a trait aux exigences dernières de notre existence d’êtres libres et responsables. Ce que la distinction porte encore en elle, c’est l’équivocité du mot « problème » lui-même dans les deux expressions, étant entendu que dans la première, on indique le résultat à obtenir, en demandant les moyens de l’atteindre, et que dans la seconde au contraire, on s’interroge sur le résultat tout autant que sur les moyens. Le régime de la problématique est, à la réflexion, plus déterminant que son registre. C’est la raison pour laquelle les « Comités d’éthique » rassemblant des autorités morales, religieuses, médicales, juridiques, philosophiques de toutes tendances-, ne peuvent fonctionner comme des commissions d’experts qui avanceraient à coup sûr et méthodiquement vers la solution desdits problèmes.