Stiegler (TT1:20-22) – A técnica segundo Heidegger

C’est en ces couches profondes de la temporalité que s’enracine la question de la technique chez Heidegger. Mais cette question se rejoue, en des textes postérieurs à Être et Temps, après le « tournant », non plus comme dimension existentiale dans l’analytique du Dasein, mais comme motif constitutif de toute possibilité de déconstruction de l’histoire de la métaphysique. S’il est vrai que le caractère métaphysique culmine dans le projet d’une mathésis universalis destinant à un sujet à se rendre « comme maître et possesseur de la nature », où l’essence de la raison s’avère être le calcul, ce tournant de la métaphysique est une entrée dans l’âge technique de la pensée philosophique par quoi la technique, devenant moderne, accomplit la subjectivité comme objectivité. Les temps modernes sont essentiellement ceux de la technique moderne.

La difficulté d’une interprétation du sens de la technique moderne par Heidegger est donc à la mesure de la difficulté de toute pensée. La technique moderne fait l’objet de nombreux textes qui ne paraissent pas toujours aller dans le même sens. Autrement dit, le sens de la technique moderne y est ambigu. Elle apparaît à la fois comme obstacle et comme possibilité ultimes de la pensée. Parmi les textes qui la détermine comme obstacle, on cite souvent « La question de la technique » et « L’époque des conceptions du monde ». Les textes tardifs, « Temps et être », « La fin de la philosophie et le tournant », inscrivent la possibilité d’une autre pensée dans la tâche de méditer la co-appartenance de l’être et du temps dans le Gestell. Dans « Le principe d’identité », Gestell désigne

le mode rassemblé de cette mise en demeure qui place l’homme et l’être l’un par rapport à l’autre de telle façon qu’ils s’interpellent l’un l’autre. […] Ce en quoi et à partir de quoi, dans le monde technique, l’homme et l’être vont l’un vers l’autre, c’est cela qui nous parle dans le mode de l’Arraisonnement. Dans cette interpellation réciproque de l’homme et de l’être, nous entendons l’appel qui donne sa figure à la constellation de notre époque.

Si la technique moderne est l’accomplissement de la métaphysique, il n’y faut voir qu’une face du Gestell. En son autre face, il détermine la co-propriation de l’être et du temps comme il y a (es gibt) de l’être et du temps, en telle manière que la détermination métaphysique du temps s’en trouve levée, tandis qu’il s’agit de penser l’être sans l’étant – c’est-à-dire sans le Dasein :

L’Arraisonnement ne nous touche plus comme une chose présente – aussi l’Arraisonnement est-il d’abord ressenti comme étrange. S’il demeure étrange, c’est surtout parce qu’il n’est pas un aboutissement de la pensée, mais qu’il nous donne lui-même le premier accès à Ce qui proprement domine et régit la constellation de l’être et de l’homme1.

Le Gestell est un prélude à l’Er-eignis où

l’homme et l’être s’atteignent l’un l’autre en leur essence et retrouvent leur être, en même temps qu’ils perdent les déterminations que la métaphysique leur avait conférées2.

L’identité, qui est d’abord identité de l’être et de la pensée, est le trait fondamental de l’être. Mais le principe d’identité

est devenu pour nous un Satz au sens d’un saut : d’un saut qui part de l’être comme fond (Grund) de l’étant pour sauter dans l’abîme, dans le sans-fond (Abgrund). Cet abîme, toutefois, n’est pas un néant vide et pas davantage une obscure confusion, mais bien l’Er-eignis lui-même3.

Le Gestell est le développement mondial de la technique moderne, et, comme tel, l’accomplissement de la métaphysique.

Bibliografia:


  1. Ibid., pp. 269-270. 

  2. Ibid., p. 272. 

  3. Ibid., p. 273.